Aux sources du Grand Art

Interview Léa Simone Allegria

Et s’il n’avait rien dit ? Et si d’autres avant lui avaient joué au même jeu, et que les collections de nos musées étaient truffées de fraudes ? Comment être sûr de l’origine d’une œuvre ?

Une amie m’a raconté une histoire qu’un ami avait entendue. Selon elle, un commissaire-priseur lassé des illusions du marché de l’art avait voulu tromper son monde en inventant un artiste. Elle m’assura que l’homme peignit lui-même des natures mortes du XVIIe siècle et écrivit un journal digne de ceux de Léonard, qu’il vendit aux enchères à prix d’or. Devant l’excitation des collectionneurs et des journalistes, il révéla ensuite la supercherie au cours d’une conférence de presse. « Juste après l’aveu, il y eut un grand silence, puis tout le monde applaudit. »

J’ai téléphoné à la source : l’ami de l’amie. Il s’agissait en réalité d’un commissaire d’exposition du nom de Gérard Bouté, qui avait créé un spectacle autour d’un personnage imaginaire, « Francisco de Torrenta », en 1999, à Aulnay-sous-Bois. Tout avait été créé pour entretenir l’illusion ; il avait reproduit jusqu’au parfum de Torrentera, que les visiteurs pouvaient sentir dans des fioles supposément d’époque.
À la fin de l’exposition, une voix-off se faisait entendre, celle de son héros, qui avouait de lui-même n’être qu’un mirage.

Le Grand Art est né de ces deux récits d’une même histoire. Je suis partie à la quête du vrai et du faux dans les salles de vente ; j’y ai rencontré des commissaires-priseurs hautains, bourrus, pressés, et toute une galerie de collectionneurs et d’antiquaires qui m’ont semblé d’un autre temps. Une époque vouée à disparaître. Je me suis mise à lire tous les écrits de Maurice Rheims, mais aussi les coulisses de Drouot, les scandales du marché et l’autobiographie de Simon de Pury. Qui « fait » la cote ? Comment tel artiste atteint-il des sommets, tandis que les oeuvres des Maîtres du Trecento et du Quattrocento n’intéressent plus personne ?

Je me suis prise au jeu des enchères – c’est ainsi qu’un jour, j’ai atterri par hasard dans l’antre d’un commissaire-priseur aussi sympathique que désabusé. Il vivait au dernier étage d’un immeuble ancien, rempli à ras bord de tableaux, de bibelots et d’affiches, la cuisine était semblable au salon, un entrepôt d’objets de tous les âges. Il m’invita à prendre un café sur l’Ile-Saint-Louis en présence de Kiki, son lévrier afghan, qui s’assit à côté de moi sur la banquette. C’est alors que le commissaire me révéla les dessous de son métier de « croque-mort ». On parla du Salvator Mundi dont la vente avait eu lieu la veille – pour lui, la plus grande enchère de tous les temps était un coup monté. Je lui racontai mon projet de livre : l’histoire d’un commissaire-priseur qui invente un artiste. « Ça s’est vu », m’a-t-il répondu, énigmatique.

Je me suis intéressée aux faussaires. À New York, j’ai ainsi rencontré un couple qui détenait un Soutine ayant appartenu à Helena Rubinstein. C’est en tentant de les aider à le faire authentifier que je compris l’opacité du marché de l’art et la subjectivité des expertises. Qui peut affirmer sans sourciller que telle oeuvre est originale, et que telle autre ne l’est pas ?

En dehors du roman, je travaille ainsi à un documentaire sur la question du vrai et du faux dans l’art.
Dix pour cent des oeuvres présentées dans les musées sont fausses. Dix pour cent ! Autant d’histoires qui ont été inventées, créées de toutes pièces, et qui sont transmises à travers les âges comme des vérités inébranlables.

L’histoire du Grand Art est ainsi celle de tous ces personnages que j’ai lus ou rencontrés, et que j’ai mêlés à mon amour pour l’art Italien, pour Florence, Giotto, et Masaccio.

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