Trois questions à Véronique Mougin

25/01/2021

À l'occasion de la parution de son nouveau roman, Un fils à maman, Véronique Mougin répond à nos questions.

  • L’histoire d’Un fils à maman est avant tout celle de Jo Picassiette, paysanne assez rugueuse dont la vie est chamboulée par la publication du roman autobiographique de son garçon. Vous citez également Mesdames Rimbaud et Proust, faisant des mères d’écrivains les vraies héroïnes de votre livre. Pourquoi ?

Pour rire, d’abord, et puis pour rétablir un certain équilibre, n’est-ce pas l’une des missions du roman ? Voyez tous ces auteurs qui écrivent, ont écrit ou vont écrire sur leurs parents : leur production occupe des rayons entiers des librairies, et elle est souvent aussi tendre qu’un coup de poing en pleine
figure ! On ne compte plus le nombre de mères enfermées à leur corps défendant dans le livre de leur progéniture, critiquées, « profanées » aurait dit Proust. Il était temps de leur offrir une revanche ! Ainsi ma Jo Picassiette, sujet du livre de son fils, va-t-elle se rebiffer, poussant aussi loin que le permet la fiction la contre-attaque ébauchée par certaines authentiques mères d’auteur.
En 1948, par exemple, la mère d’Hervé Bazin, l’ignoble Folcoche de Vipère au Poing, faisait irruption en librairie pour dédicacer à la place de son fils l’ouvrage qui la clouait au pilori : « Il paraît qu’il est un peu question de moi là-dedans... » Rebelote il y a cinq ans avec le grand succès littéraire du moment, En finir avec Eddy Bellegueule. Le jeune auteur Edouard Louis y raconte son enfance difficile au sein d’une famille d’illettrés très étroits d’esprit.
Mensonges, rétorque sa mère, montée tout exprès à Paris pour lui clouer le bec – en pleine conférence et devant un public ébahi, elle lui passe un savon mémorable.
Moi qui aime par-dessus tout, dans mes livres, mêler l’humour au sérieux et redonner le pouvoir aux invisibles (j’ai écrit sur les SDF, les domestiques...), l’anecdote m’a réjouie : cette mère-là avait traversé une bonne partie de la France et de l’échelle sociale pour laver son honneur ; elle sortait bravement de l’ombre pour reprendre la parole confisquée par le fils. Il y avait du comique et du tragique dans leur confrontation, qui témoignait aussi du versant orageux des rapports familiaux.
Bref, je tenais le sujet idéal, qui me permettait de parler avec drôlerie de littérature et de maternité – deux thèmes qui me concernent de près, ayant commis moi-même dix livres et trois enfants. Après tout, qu’est-ce qu’un roman sinon une psychanalyse à laquelle le lecteur est invité ?

  • L’héroïne d’Un fils à maman est une vraie peau de vache...

Disons qu’elle a un certain caractère et ne s’embarrasse pas des convenances.
C’est un électron libre : elle est excentrique, farouche mais aimante, têtue mais pugnace.
Et puis pour sa défense, qu’y a-t-il de plus difficile que d’élever un écrivain ?
Il est souvent souffreteux, on s’inquiète (regardez Proust et son asthme, Flaubert et son épilepsie). Son choix de carrière est risqué, en plus d'être vexant : Charly Picassiette refuse de reprendre la ferme de son père, avant lui Philippe Sollers s'était détourné de la tôlerie-zinguerie familiale, Balzac n'avait pas souhaité devenir notaire comme papa, bref l'auteur souvent ingrat crache sur la main qui le nourrit, et tout ça pour quoi ? Pour gribouiller du papier et dépenser l’argent qu’il n’a pas dans les librairies, il y a de quoi se faire un peu de mouron !
Ainsi Cherubin Beyle exhortait son fils Stendhal à « diminuer tant que possible l’emplette de livres », et Madame Gide se faisait un sang d’encre à l’idée que son petit André ne gagne jamais un sou avec sa prose. Madame de Beauvoir, elle, se contentait d'emballer ses pots de confiture avec les manuscrits de sa fille Simone.
Les parents d’écrivains sont rarement prophètes en leur pays et leur aveuglement donne lieu à des situations cocasses dans lesquelles j’ai pioché avec joie pour peindre mon Fils à maman. Ceci dit, les mésaventures de mon héroïne ressemblent, dans le fond, à celles de beaucoup de parents, à la fois heureux de voir l’enfant grandir, tristes qu’il quitte la maison, soucieux quant à son orientation, parfois furieux contre lui ou contre eux-mêmes... Charly, par exemple, va connaître un  immense succès littéraire en publiant une satire qui épingle rudement ses proches : pour sa mère, c’est une fierté autant qu’une trahison.
Y a-t-il un autre sport que la parentalité qui offre à ses pratiquants, dès la naissance de l’enfant, ce mélange fou de bonheur et de douleur, de réconfort et de déception, de tourments et de joie ? Écrire ce trouble-là a été l’un de mes grands plaisirs – le lire aussi, j’espère...

  • L’un des personnages de votre roman, c’est cette ferme qu’habite Jo et dont le fils se détourne. La forêt et le lac jouent également un rôle dans l’histoire. Pour quelle raison avoir donné cette importance aux paysages ?

Je voulais raconter le lien qui existe entre les êtres et les choses : la force, la consolation, l’énergie que nous apportent certains lieux, la familiarité plaisante que l’on peut entretenir avec les objets inanimés dont certains affirment qu’ils n’ont pas d’âme (mais ceux-là n’ont jamais rencontré mon cerisier, ni mon stylo-bic fétiche).
Jo Picassiette, l’héroïne d’Un fils à maman, parle au vent, aux arbres, aux poules et à son rabot, au petit peuple de sa maison ; dans la cheminée le feu lui répond. Comme Victor Hugo, Jo Picassiette est la rêveuse, elle est la camarade « des petites fleurs d’or du mur qui se dégrade », elle reçoit « des conseils du lierre et du bleuet ». C’est dans cette proximité affective avec le vivant qu’elle a tenté d’éduquer son fils, lui ôtant les livres des mains pour lui transmettre la science des plantes sauvages, l’art de les dénicher au creux des collines et la manière de déboulonner les panneaux publicitaires qui partout gâchent le panorama

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Car la Jo, comme souvent mes héros, cultive un léger esprit de contradiction : plus la campagne autour d’elle « se développe » – ronds-points, pesticides, lotissements, grandes surfaces – plus madame Picassiette résiste. L’hypermarché qui, régulièrement, tente de s’agrandir aux dépens de la forêt est l’objet de son vibrant courroux. Elle-même vit de cueillettes dans sa jungle de paradis, sans jamais tailler ses arbres-chéris, sans électricité, sans voiture ni souci du qu’en-dira-t-on, seule avec son fils et contente de l’être.
Hélas, la soudaine notoriété du garçon et ses velléités d’indépendance vont menacer son équilibre, l’obliger à sortir du bois et à frayer avec ses congénères pour défendre sa terre... Jo Picassiette, c’est une sorte de Geronimo au féminin, une Apache en tablier à fleurs. Elle n’ « aime » pas la nature, elle en fait partie.
Ainsi incarne-t-elle un fantasme assez répandu aujourd’hui, qui est aussi le mien : faire son trou au vert et au soleil, s’y enraciner simplement, loin des autres qui sont souvent l’enfer que l’on sait et, comme disait Picasso, « laisser pousser ses branches à soi … »

Un fils à maman, Véronique Mougin. En librairie le 10 février.

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